A contre-Coran,
par Caroline Fourest
LE MONDE |
23.10.09 | 14h16 • Mis à jour le 23.10.09 | 14h16
Le livre de Djemila Benhabib, Ma vie à contre-Coran
(VLB éditions), connaît un vif succès au Canada. Il est en passe de devenir le
livre de chevet de tous ceux qui ont fui l'islamisme pour trouver refuge en
Europe. De Paris à Londres en passant par le Québec, avec le débat sur les
"accommodements religieux", l'auteur suit à la trace un mal qu'elle
croyait derrière elle. Elle s'étonne d'une certaine naïveté face à
l'intégrisme. Suffit-il de présenter le voile comme un acte de liberté, de
déguiser ses mots et son projet, pour que l'intolérance soit tolérée ?
Djemila Benhabib est immunisée contre cet angélisme. Connaître
l'histoire de l'islam politique ayant ravagé l'Algérie aide à décoder le double
discours des intégristes. Le grand mérite de son livre est de nous transmettre
cette histoire et ce regard. Il en a un autre : démontrer l'immense
responsabilité du pouvoir algérien dans la montée de l'islamisme.
Certains
indépendantistes voulaient la laïcité... Le FLN préfère miser sur
l'islamisation de la nation algérienne. La Constitution consacre l'islam comme
religion d'Etat. Truffées d'instituteurs importés d'Egypte et formés par les
Frères musulmans, les écoles publiques deviennent des lieux où l'on bourre le
crâne des enfants à coups de récitation du Coran.
Djemila en
garde un souvenir assommant. "J'étais debout, moi aussi, pour demander
la flagellation des adultères et l'extermination des mécréants." Chez
elle, l'endoctrinement ne prend pas. Ses parents militent au PAGS, un mouvement
communiste. A la maison, on préfère les livres d'Angela Davis. A
l'époque, il existe encore de nombreux Algériens pour préférer le progrès à la
réaction. On les marginalise en les traitant d'"occidentalisés".
La police les traque.
Octobre
1988, la jeunesse se révolte, descend dans la rue et brûle des voitures. La
répression est terrible. Au lieu d'entendre cette rage comme une envie de
liberté, le président Chadli Benjedid se tourne vers les intégristes et cède à leurs
demandes, dans l'espoir - illusoire - d'acheter la paix sociale. Après avoir
voté un code de la famille qui ramène la femme algérienne au statut de mineure,
on passe une loi rendant le sport facultatif pour les écolières... au nom de la
pudeur. Le Front islamique du salut (FIS) est conforté. Il monte inexorablement.
La suite est
connue. Après un premier scrutin municipal permettant au FIS de détenir la
moitié des mairies, les intégristes remportent le premier tour des élections
législatives de décembre 1991. Ils s'apprêtent à tenir leur promesse : "Interdire
les partis laïques ou socialistes" et "appliquer la
charia". L'armée annule le processus électoral. Les islamistes
basculent dans la guérilla, l'armée dans la sale guerre... Pris en étau, les
intellectuels, les artistes, les laïcs se font tirer comme des lapins et vivent
dans la terreur.
Djemila Benhabib se souvient du 25 mars 1994, dernier jour de
l'ultimatum du GIA "ordonnant aux femmes de porter le hidjab"
: "Quitter la maison devenait une expédition. A chaque recoin, la mort
guettait les têtes nues." Des filles ayant osé sortir sans voile sont
assassinées sur le chemin de l'école ou de l'université. La famille Benhabib reçoit des menaces quotidiennes. Il est temps de
s'exiler. Mais le cauchemar n'est pas terminé.
En Europe,
les Algériens laïques retrouvent leurs bourreaux. Les islamistes pourchassés
par l'armée n'ont eu aucun mal à obtenir le statut de réfugiés. Les
ambassadeurs des Frères musulmans monopolisent les médias et vantent le choix
du voile. Dans certains quartiers de France, la "réforme"
fondamentaliste voulue par Hassan Al-Banna
et le FIS parvient à faire passer les musulmans modernes ou non pratiquants
pour des traîtres "occidentalisés".
Djemila Benhabib ne supporte plus de voir leur propagande tolérée
au nom du multiculturalisme. Son livre est un avertissement : "Toute
indulgence envers cette idéologie de mort n'est pas seulement une grave erreur
de principe, c'est une trahison."
Caroline Fourest